Portraits de l’histoire au XIXe siècle : présentation générale

Des chercheurs dix-neuviémistes littéraires, historiens et historiens de l’art venant de trois universités d’Occitanie (université Montpellier III Paul-Valéry, UPVD Perpignan, université Toulouse Jean-Jaurès) organisent entre 2018 et 2020 un séminaire de recherche sur le portrait historique et ses enjeux esthétiques, historiographiques et idéologiques, à raison de trois séances par an.

A rebours d’une conception conflictuelle qui opposerait terme à terme histoire et littérature, la rigueur méthodologique et la “scientificité” de la première se démarquant des libres caprices de l’imagination réservés à la seconde, ce séminaire se voudrait une invitation à étudier les phénomènes d’interaction, de complémentarité, mais également de concurrence existant entre ces deux disciplines, en s’intéressant à la question du portrait historique. De fait, l’historien reproche fréquemment à la littérature de ramener la discipline historique « au rang de science auxiliaire de l’invention romanesque » pour des écrivains « libres de tout scrupule et de toute entrave ». La littérature démoraliserait-elle alors l’histoire ?
Or, le XIXe siècle se révèle à cet égard particulièrement fécond ; le portrait d’histoire y compose des figures que la nation reconnaît, investit et autour desquelles elle se configure, qu’il s’agisse de personnages publics (le grand homme, écrivain, artiste, politique, scientifique) ou anonymes. Le XIXe siècle, né de la Révolution comme le dit Hugo, hanté par elle, secoué par ses répliques, est particulièrement traversé et travaillé par ces figures publiques : d’une part celles des grands contemporains (Danton, Robespierre, Napoléon, Chateaubriand, Hugo), tutélaires ou écrasantes ; d’autre part, des figures empruntées au passé (Homère, Jeanne d’Arc, Coligny, Shakespeare, Dante), organisées, perçues, interprétées à la lumière des temps nouveaux. En rompant avec la tradition du portrait “exemplum” qui prévalait sous l’Ancien Régime, en élevant cette forme littéraire au rang de “biographie dramatisée” (Baudelaire) libre d’emprunter au romanesque certains de ses codes, le XIXe siècle pourrait bien également consacrer l’accès inédit des anonymes (le Jacques de Michelet, les émeutiers de Flaubert, les passants de Baudelaire, le dormeur du val de Rimbaud…) à la dignité du portrait historique.
Il s’agira donc, pour porter la question de la démoralisation de l’histoire, de considérer le portrait historique dans ses tensions formelles et ses ambiguïtés référentielles, en l’analysant entre histoire et littérature, entre mimésis et fiction, entre témoignage, archive, incarnation signifiante de l’histoire et construction esthétique, exploration anthropologique, entreprise idéologique.
Ce séminaire se voudrait enfin l’occasion d’une collaboration fructueuse entre nos différentes disciplines, en faisant dialoguer au fil des séances spécialistes de littérature, d’histoire, et d’histoire de l’art. Ce carnet, qui se veut le prolongement des réflexions menées dans le cadre de nos rencontres, s’adresse donc à l’ensemble de la communauté universitaire concernée par ces disciplines, avec une attention toute particulière pour le public des jeunes chercheurs et des étudiants de master.

Mots d’ouverture, séance du 9 novembre 2018

Mots d’ouverture par Nathalie Solomon (Université Perpignan Via Domitia)

Les premiers travaux du séminaire sont consacrés à la manière dont le portrait, au XIXe siècle, interroge les liens (la tension) entre littérature et histoire et leur « moralisation ». Il s’agira de s’intéresser aux portraits des grands hommes (personnages publics, hommes politiques, écrivains, artistes, réels ou fictifs) mais aussi à celui des anonymes en tant qu’ils deviennent sujets de l’histoire: de voir comment histoire et littérature entrent en conflit ou se réconcilient autour du portrait (d’où le titre du séminaire : portrait de l’histoire, tentative de mettre l’histoire dans des portraits, ou de faire le portrait de l’histoire, etc.).

Cela veut dire que nous pourrons réfléchir non seulement sur le portrait des grands hommes, mais aussi sur celui du banal contemporain, voire sur celui du lecteur qui, par les attentes qui sont les siennes, est parfois représenté en amateur de clichés historiques, avide de lire la vérification de ses préjugés. Ce qui nous amènera à réfléchir sur la poétique du portrait, à la suite de Fabienne Bercegol, en nous posant la question de sa cohésion après nous être posé celle de son intention idéologique. Le rapport à la peinture et à la photographie auront aussi leur place dans nos travaux dans le cadre de la réflexion sur la poétique du portrait : comment la peinture impose une esthétique de la représentation du portrait historique dans l’écriture des romantiques et, au-delà, comment la généralisation de la photographie vient modifier les traitements et les pratiques littéraires.

Il faudrait aussi travailler sur les points de ressemblance et de différence entre les portraits d’écrivains et d’historiens ou de témoins (Mirabeau, Michelet, Blanc, Thiers, Lamartine, Fustel, Las Cases, Lavisse, Henri Martin, Edgar Quinet, etc.) et ceux des romanciers en posant la question  du régime fictionnel et du régime référentiel. Quel rôle revendiqué de l’observation et quel rôle de l’imagination ? En quoi les portraits sont-ils travaillés par la question morale ? par la question politique ? par l’esprit de parti ? Dans quelle mesure l’historiographie peut-elle éclairer le portrait intégré dans une œuvre de fiction. Quelle fonction des corps ?

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